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De la pulsion de mort comme projet social

Dernière mise à jour : 22 mai


À l’heure où la langue elle-même se dérobe, où les mots chancellent sous le poids de leur trahison, il devient urgent de parler. Urgent de nommer. Car ce qui ne se nomme pas disparaît. Et ce qui se laisse renommer se laisse dominer. Ainsi donc, nos édiles, toujours prompts à repeindre les murs du réel avec les teintes flatteuses de la novlangue, veulent désormais faire passer la mort pour un soin, et le suicide pour un droit. Le dernier acte de violence contre soi-même devient, par décret législatif, une mort « naturelle ».


Fabuleux non ? Qualifier l’euthanasie de mort naturelle ! Ce n’est plus Orwell, c’est l’enfer des euphémismes : on renomme pour dissimuler. On déguise l’angoisse en liberté, la solitude en choix éclairé, l’abandon en dignité. Mais ce que l’on ne dit plus, c’est que derrière ces beaux mots se cache une fuite : la fuite de notre société devant le mystère de la mort.


Nous savons, et nul ne peut l’ignorer sans mentir, que l’accès aux soins palliatifs diminue radicalement les demandes d’euthanasie. Cela a été démontré, prouvé, répété. Et pourtant, que font nos gouvernants ? Ils ferment les lits, ferment les unités, étranglent les budgets. Dans une société qui fabrique la précarité comme d'autres fabriquent des voitures, il ne faut pas s’étonner de voir la mort proposée comme alternative à la souffrance. Quand la douleur n’est plus accompagnée, elle devient insupportable. Et quand la société ne protège plus les vivants, elle leur propose la sortie.


Que dire de ce monde où l’on enrichit les riches et où l’on appauvrit les pauvres, méthodiquement, mécaniquement, comme on aplanit une route vers l’abîme ? Nos gouvernants, les poches pleines de promesses creuses et de chiffres truqués, construisent un monde où la réussite s’accumule d’un côté, et la précarité s’abat de l’autre. Et dans ce grand déséquilibre organisé, il ne faut pas s’étonner que l’euthanasie devienne (sous couvert de liberté) un outil de gestion sociale.


Quand la vie coûte trop cher, on supprime les vivants. Les riches, eux, auront toujours les moyens d’accéder aux soins, aux thérapies douces, aux chambres particulières, aux équipes entières dédiées à leur confort ultime. Les pauvres, en revanche, privés déjà de l’essentiel, seront privés aussi de leur fin. Il ne faut pas être devin pour voir vers quoi cela conduit : après avoir été pressés toute leur vie, comme des vaches qu’on exploite sans relâche, qu’on trait jusqu’à la dernière goutte de lait nourri au transgénique, on leur offrira, en guise de remerciement, une mort propre, rapide, presque hygiénique. Un dernier geste de compassion prétendue, qui dissimule une logique froide : tu ne sers plus, tu coûtes trop, tu peux partir.


Ce ne sera pas dit ainsi, bien sûr. Ce sera enrobé de mots doux comme des narcotiques : “dignité”, “choix”, “liberté”. Mais le message sous-jacent, lui, hurlera en silence : ta vie ne vaut plus le coup. C’est là le visage véritable de cette loi : une fausse pitié pour mieux cacher une vraie violence. Un système cynique où l’on transforme la souffrance des pauvres en solution budgétaire, et leur désespoir en argument politique.


Et Quid du serment d’Hippocrate, cette antique parole de lumière, disait : « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande… » Où est passée cette boussole ? Certes, nombre de médecins ont déjà trahi ce serment, happés par les injonctions de l’État sanitaire et les diktats de l’industrie pharmaceutique. Montrant combien ils étaient devenus les relais dociles d’un pouvoir plus économique que sanitaire. Mais faut-il, pour autant, achever leur chute ?  Ce n’est pas au médecin de tuer. C’est au médecin de soigner, d’accompagner, de rester. Si demain la loi impose aux soignants d’être les officiants d’un rituel mortifère, alors le lien sacré entre l’homme vulnérable et celui qui est censé le protéger sera rompu. Définitivement.

La défiance qui s’était installée dans la pandémie semblera bénigne, en comparaison de ce qui vient. Car le jour où l’on entrera dans un hôpital en se demandant si celui qui vous tend la main le fait pour vous guérir ou pour vous ôter la vie, c’est toute la civilisation qui aura basculé.


Voulons-nous une société qui protège les faibles ou qui les élimine ? Une civilisation de la compassion ou de l’utilité ? Une médecine du lien ou de l’acte technique ?

Offrons à nos anciens, à nos malades, la présence, la tendresse, la musique, les caresses, les sacrements. Rouvrons des maisons de soins, rouvrons des lits. Des lits que l’on n’a cessé de fermer au nom de la rentabilité. Des lits où l’on puisse veiller, écouter, tenir la main, prier. Des lits où l’homme soit encore un frère, et non un coût.

Formons des soignants à la douceur, et non à la piqûre létale. Offrons-leur du temps, des moyens, et le courage d’aimer jusqu’au bout ceux que le monde voudrait déjà faire taire. Accompagnons les malades, non pour prolonger la vie à tout prix, mais pour l’honorer jusqu’à son dernier souffle.


Et surtout… surtout, rouvrons les cœurs à l’invisible. Non pas à une idée vague de spiritualité, mais à ce feu nu, à cette Présence qui brûle au cœur même de l’agonie. Car il est là, le Dieu vivant — non pas dans l’éclat des miracles, mais dans le froissement d’un drap, dans le souffle court d’un mourant qui s’abandonne, dans le regard d’un fils qui ose rester jusqu’au bout, sans fuir. Il est là, dans cette chambre où l’on croit qu’il ne reste rien, sinon la fin. Et c’est là qu’il commence.


Car il y a une parole que seul Dieu peut dire dans le secret d’un corps brisé :“Tu n’es pas seul. Tu n’es pas perdu. Tu es aimé, jusqu’au bout, jusqu’à l’os, jusqu’à l’éternité.”


La souffrance, lorsqu’elle est offerte, traversée, partagée, devient le lieu d’une visitation. Ce n’est pas une absurdité à supprimer, mais une offrande à recueillir ; un calvaire où germe déjà la lumière du matin de Pâques.

La vraie dignité ne se mesure pas à la netteté d’un acte médical, ni à la capacité de choisir sa fin comme on choisirait un dessert.

La vraie dignité, c’est d’oser mourir dans les bras de l’Amour. C’est de remettre son souffle là d’où il est venu.

C’est de dire, dans la nuit : “Père, entre tes mains, je remets mon esprit…”


Flavien

 

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