
Il est fascinant de voir à quel point les récits anciens de la Bible continuent de résonner puissamment dans notre monde contemporain. Prenons ce passage de l’Exode (Ex 16), où les Hébreux, libérés de l’esclavage en Égypte, se lamentent à Moïse : « Pourquoi nous as-tu fait sortir d’Égypte ? Là-bas, au moins, nous mangions à satiété, même en tant qu'esclaves. » N'est-ce pas un miroir tendu à nos propres angoisses modernes ? Sommes nous si différents de ces Hébreux regrettant leurs chaînes pour une simple assiette de viande ?
À peine sortis de la servitude, guidés par Dieu accomplissant des miracles, qu’ils regrettent déjà ce passé d’oppression, préférant le confort prévisible de la soumission aux incertitudes de la liberté. Ils ne voient plus la grandeur de la promesse divine, trop absorbés par leurs peurs immédiates. Cela paraît lointain, abstrait ? Et pourtant, notre monde regorge de ces exemples criants où nous préférons les certitudes oppressives à la liberté pleine de foi.
Lors de la crise du COVID, combien d’entre nous ont troqué leur liberté contre l’illusion d’une sécurité totale ? Sous prétexte de préserver notre santé, nous avons accepté des restrictions inédites, renonçant parfois à l’essence même de notre humanité : nos liens sociaux, nos élans de fraternité. La peur a transformé nos voisins en contrôleurs, et nos semblables en menaces.
Et la polarisation politique qui gangrène notre pays aujourd’hui ? Les discours sont de plus en plus enfermés dans une dichotomie médiatique bien loin des préoccupations concrètes de tout un chacun. D’un côté, une proposition prétendument « woke », niant parfois la nature même de l’humanité et s’égarant dans des dérives identitaires où ressurgissent, ironie cruelle, des relents d’antisémitisme. De l’autre, un repli identitaire tout aussi néfaste, prônant un monde xénophobe où le « chacun chez soi » devient une valeur sacrée. Et au milieu de tout cela, le génie des médias parisiens consiste à nous plonger dans cette fausse opposition, nous adjurant de choisir un camp et de nous battre contre l’autre, comme s’il s’agissait des seules voies possibles.
Mais quid de la réalité de la grande majorité des habitants de cette planète, de ceux qui ne vivent ni sous les strass et paillettes, ni sous les spotlights, ni des subventions sur les planches ou dans les auditoriums, ni dans les cercles élitistes de la capitale ? Ces débats stériles semblent bien loin de leurs préoccupations. Et pourtant, tout se polarise, chacun se range dans le camp de celui qui le rassure le plus, cédant à la peur, comme nos braves ancêtres avec leur pain et leur bidoche, plutôt que la foi.
Chaque camp éloigne les hommes du cœur de Dieu, car chaque voix qui exclut, chaque voix qui nie la vie, qui nie la dignité humaine ; du libéralisme au capitalisme, du woke à l’extrême droite ; chaque voix qui invite au repli sur son idéal sans prendre l’autre en considération, sans vivre dans l’altérité, est ligotée et réduite à l’esclavage. Elle est une insurrection contre la providence.
Rien de nouveau sous le soleil. Regardons ce que nous enseigne encore le Livre des Nombres (Nb 11) : le peuple, las de la manne – pourtant miracle quotidien d’un pain donné par Dieu en réponse à la faim des Hébreux – regrettant encore son bourreau, exige de la viande, se rebellant contre Dieu malgré Ses prodiges constants. N'est-ce pas là une métaphore de notre propre insatisfaction ? Nous avons tout, et pourtant, nous voulons autre chose. Dieu marche devant eux, sous la forme d’une colonne de nuées, il les protège, les guide, les nourrit, les conduit aux portes de la Terre promise, mais rien n’y fait : leur cœur reste fermé.
De ce récit, vieux de près de quatre mille ans, transpire une vérité universelle et intemporelle : l’homme, même face à l’évidence du divin, préfère souvent s’attacher à ce qui est tangible, immédiat et rassurant, quitte à renoncer à la grandeur de la liberté offerte par la foi. Nous préférons vivre une vie de servitudes emplie de certitudes, que d’être libres, mais dépendants de la providence !
Nous manquons de foi en Dieu, en la vie, et même en nos semblables. Cette crise de confiance collective nous pousse vers une pulsion mortifère où nous tuons tout, notre foi, notre identité, nos frères, notre planète… la vie !
Alors laissons les morts avec les morts. Face à nos inquiétudes, le Christ nous enseigne un chemin radical, lumineux, profondément libérateur. Il commence par une parole qui bouleverse nos priorités : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mt 6:25). Ce que Jésus propose, ce n’est pas une naïveté passive ni un renoncement à nos responsabilités, mais une réorientation totale de nos cœurs. Il nous invite à sortir de l’angoisse paralysante pour entrer dans la confiance absolue envers Dieu. Pourquoi courir après ce qui est déjà assuré par la providence ? Pourquoi nous consumer en vaines inquiétudes alors que le Père céleste veille sur nous avec une tendresse infinie ? Pas facile hein ? Même que ce n’est pas fini…
« Regardez les oiseaux du ciel », nous dit Jésus. « Ils ne sèment ni ne moissonnent, et pourtant, ils trouvent chaque jour de quoi vivre. Et vous, vous valez bien plus qu’eux » (Mt 6:26). Dieu nous connait dans nos moindres zones d’ombre, au-delà même de celles que nous percevons. Et par delà le bien ou le mal que nous commettons, il fait pleuvoir sur le bon comme sur le mauvais, il nous nourri, nous revêt sans cesse. Il ne nous dit qu'une seule chose… « fais moi confiance ! » Cela ne veut pas dire que nous devons cesser tout effort, bien au contraire, mais qu’ils doivent être portés par la confiance, et non dictés par la peur !
Pour entrer dans cette paix, Jésus nous appelle à un changement intérieur : « Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt 6:33). Voilà le secret. Mettre Dieu au centre de notre vie, orienter nos désirs vers Lui, et non vers les illusions matérielles ou les promesses vides de ce monde. Si nous cherchons le Royaume ; c’est-à-dire vivre dans l’amour, alors tout le reste nous sera donné, non comme une récompense, mais comme un fruit naturel de cette communion avec Dieu. On pourrait naïvement croire qu'il s'agit d'une proposition très bisounours mais c'est bien plus exigent qu'il n'y parait !, C'est un appel radical à transformer nos actions quotidiennes en expressions de cette foi et de cet amour. Ce n’est pas en fuyant les défis du monde, mais en les affrontant avec la confiance que nous sommes soutenus par une providence divine, que nous pouvons véritablement construire un monde plus juste et plus paisible.
Vivre selon cet enseignement, c’est refuser d’être ligoté par nos angoisses, et accueillir le chemin et la vie que le Christ nous offre. Une liberté fondée non sur nos propres forces, mais sur l’assurance que nous sommes aimés, portés, accompagnés par un Père qui pourvoit à tout. Ce chemin n’est pas toujours facile, car il suppose de renoncer à nos contrôles illusoires, mais il est une source inépuisable de paix et de joie.
Amen,
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